
À l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, Wallonie-Bruxelles International a rencontré deux artistes engagées de la scène littéraire belge, les autrices Lisette Lombé et Myriam Leroy. À travers un échange sans tabou, elles reviennent sur leur parcours, leur travail et les obstacles qu’elles rencontrent.
Poésie, engagement et résistance : réflexions sur la place des femmes dans la littérature et les médias
Dans un paysage médiatique et littéraire encore largement dominé par des normes patriarcales, les femmes artistes et autrices doivent constamment jongler entre reconnaissance artistique et réduction à leur engagement militant. C'est l'une des thématiques centrales qui ressort de notre échange avec Lisette Lombé et Myriam Leroy, pour qui l'écriture est à la fois un espace de liberté et un terrain de lutte.
Être une femme qui écrit, c’est parfois être réduite à son combat, avant même d’être reconnue pour son art. Lisette Lombé et Myriam Leroy en font l’expérience : dès qu’une autrice prend la parole sur les questions féministes ou sociales, son engagement éclipse bien souvent son travail littéraire.
Si elles ne renient pas leur engagement, elles revendiquent avant tout leur statut d’écrivaine et refusent d'être enfermées dans une case réductrice. Myriam Leroy raconte ainsi comment certains modifient régulièrement sa page Wikipédia pour remplacer "autrice" par "militante", un geste qui illustre bien les tentatives pour minorer l’apport littéraire des femmes engagées.
"J'écris sur ce qui me révolte, mais ça ne signifie pas que je me limite à un combat unique. L'écriture, qu'elle soit poétique, slam ou romanesque, est avant tout un moyen d'expression personnel et artistique", témoigne Lisette Lombé.
La réalité du sexisme dans l’espace médiatique
Prendre la parole dans l’espace public expose les femmes à une hostilité récurrente.
Les deux autrices évoquent les attaques régulières qu'elles et d'autres femmes subissent sur les réseaux sociaux ou dans les médias, particulièrement lorsqu'elles abordent des sujets sensibles comme le féminisme ou les inégalités sociales. "Prendre la parole en tant que femme, c'est s'exposer à une violence constante. Chaque mot est scruté, critiqué, et parfois détourné pour nous attaquer personnellement", explique Myriam Leroy qui estime qu’il y a une urgence à faire entendre des voix dissonantes.
Elles mettent aussi en avant le courage des nouvelles voix féminines dans les médias, à l’instar des chroniqueuses et humoristes qui prennent leur place dans des environnements traditionnellement masculins, telles que Mélanie Akkari sur Matin Première. Cependant, cette visibilité accrue expose à une pression constante et nécessite des stratégies de protection collective. Face à ces attaques, la solidarité devient essentielle. Des réseaux de soutien se mettent en place, notamment par le partage d’informations sur les auteurs de harcèlement ou par une entraide entre artistes.
Poésie et oralité : une reconnaissance inégale
Lisette Lombé observe un paradoxe dans l'évolution du paysage littéraire et poétique : si la poésie orale bénéficie d’une meilleure visibilité, la poésie écrite peine à trouver sa place. Si elle reconnaît l'importance de la performance et du rapport direct au public, elle souligne que cette tendance a pour effet de rendre moins visibles les poétesses qui choisissent d’exercer leur art dans une forme plus traditionnelle.
"L'oralité permet une plus grande portée, mais elle ne doit pas éclipser l'écriture pure. De nombreuses poétesses qui travaillent essentiellement sur l'écrit peinent à trouver une audience parce qu'elles ne sont pas sur scène", insiste-elle.
La langue et l’édition : un combat pour la diversité
Un autre enjeu abordé concerne la préservation des spécificités linguistiques dans l'édition francophone. Myriam Leroy raconte comment, en tant qu'autrice belge, elle a dû lutter pour conserver certains termes propres à son pays dans ses publications en France. Les maisons d’édition exercent une pression pour uniformiser la langue et éliminer les mots jugés trop régionaux.
Elle défend l’idée que la littérature doit refléter la diversité des langues et des territoires. "On accepte l’argot contemporain dans certains best-sellers, mais on refuse les belgicismes sous prétexte qu'ils seraient trop marqués. Il faut revendiquer nos identités linguistiques et ne pas se laisser lisser par l’édition parisienne".
Prendre la parole, un acte de résistance
Prendre la parole, c’est occuper l’espace, imposer une voix, revendiquer un droit fondamental : celui d’exister pleinement.
Tant Lisette Lombé que Myriam Leroy soulignent que la prise de parole féminine est essentielle, mais qu’elle n’est pas sans conséquences. Elles reconnaissent que les jeunes femmes qui s'expriment aujourd’hui le font dans un contexte difficile, souvent aux prix d’attaques et de harcèlement. Pourtant, elles estiment que cette parole est nécessaire et constitue l’un des changements les plus inspirants de notre époque.
"Les jeunes femmes apportent quelque chose de neuf, de libre, dans tous les domaines de la culture. Il faut les encourager, mais aussi veiller à ce qu'elles puissent s'exprimer dans un cadre sûr et solidaire" insiste Lisette Lombé.
Entre engagement et création, entre résistance et poésie, cet échange a mis en lumière les tensions auxquelles sont confrontées les femmes dans le monde artistique et médiatique. En ce 8 mars, WBI réaffirme son engagement à soutenir celles et ceux qui, par leurs mots, ouvrent la voie à une société plus juste et plus inclusive. Si les difficultés persistent, l'importance de résister, de créer et de revendiquer son espace n'a jamais été aussi prégnante.
- Lisette Lombé se définit comme poétesse. Elle a publié des romans, des recueils de poésies et de textes, des chroniques écrites, est fondatrice du collectif « L-SLAM », une scène ouverte qui « offre aux femmes un espace d'expression métissé, qui croise des vécus, des origines, des rapports à la langue et à l'espace public très variés » un collectif de poétesses et d’autres disciplines). Enseignante et diplômée en lettres et en médiation, elle est finaliste du Prix Médicis 2023 avec son roman Eunice (édition du Seuil), et primée à plusieurs reprises pour ses travaux littéraires (Grand Prix du roman 2023 de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, Prix Grenades/RTBF, Prix Scam/SACD, Golden Afro Artistic Awards, La Belle Hip Hop Awards). Citoyenne d'Honneur de la Ville de Liège en 2017, elle a reçu le titre de Namuroise de l’année, au côté de 11 autres personnalités, en février 2025. Depuis 2024, elle est la Poétesse nationale de Belgique pour un mandat de deux ans, un titre symbolique qui permet de valoriser les échanges littéraires et culturels entre les trois communautés linguistiques de notre pays
- Myriam Leroy est journaliste, chroniqueuse, autrice (roman, comédie pour le théâtre, scénario de films), réalisatrice de documentaires et romancière. Dans ses livres, elle traite du sexisme, du harcèlement et de la place des femmes dans la société. Son premier roman, Ariane (Editions Don Quichotte), a été finaliste du prix Goncourt du premier roman et du Prix Rossel. Elle a reçu le prix de la meilleure autrice aux Prix de la critique 2017 et les insignes de Chevalier de la Légion d'Honneur de la République française en juin 2023.
Wallonie-Bruxelles International (WBI) se tient aux côtés des auteurs et autrices pour favoriser le rayonnement de leurs œuvres et faire entendre leurs voix à l’international et propose pour ce faire plusieurs types de soutiens.
Voici en résumé les principales aides disponibles :
1. Aide à la mobilité individuelle
- Destinée aux auteurs/autrices souhaitant participer à des événements littéraires internationaux (festivals, résidences d’écriture, rencontres professionnelles, salons du livre, etc.).
- Prise en charge partielle ou totale des frais de déplacement et/ou d’hébergement.
- Souvent conditionnée par une invitation officielle ou un projet structuré à l’international.
2. Soutien aux résidences d’écriture
- Permet aux auteurs/autrices de bénéficier d’un cadre propice à l’écriture dans des résidences à l’étranger.
- Objectif : encourager la création et l’échange avec d’autres écrivains et professionnels du livre.
3. Aide aux traductions et à la diffusion internationale
- Soutien aux éditeurs pour la traduction et la publication d’œuvres d’auteurs belges francophones à l’étranger.
- Encourage la diffusion de la littérature belge francophone sur les marchés internationaux.
4. Soutien aux échanges et collaborations internationales
- Financement partiel de projets impliquant des collaborations entre auteurs belges et structures culturelles étrangères.
- Peut inclure des ateliers, des lectures publiques, des conférences ou des projets éditoriaux.
Les conditions d’éligibilité et les montants varient selon les dispositifs. Plus d’informations : https://www.wbi.be/fr/lettres-livres